Les mille feux du cristal
Drageoir en cristal de Vonêche, avec couvercle
Cristal taillé en pointes de diamant et moulures monté sur piédouche à facettes et pied carré à degrés.
Cristallerie de Vonêche. Vers 1820. H. 53 cm
Namur, Musée des Arts décoratifs – Hôtel de Groesbeeck-de Croix.
Fondation Roi Baudouin, en dépôt à la Société archéologique de Namur
Déposée à la Société archéologique, cette nouvelle acquisition de la Fondation Roi Baudouin est une pièce vraiment exceptionnelle provenant de la cristallerie de Vonêche (Beauraing).
Une pièce exceptionnelle
Haut de 53 cm, ce drageoir scintille des mille feux de son cristal taillé en pointes de diamant et orné de moulures, depuis son pied carré jusqu’à son couvercle. Destiné initialement à présenter des sucreries ou des épices, il s’agit d’une pièce exceptionnelle, sans doute l’un des modèles les plus coûteux proposés par les cristalleries de monsieur d’Artigues, avec les urnes ou encore les « vases à papetiers ». Exécutée vers 1820, il s’agit très probablement d’une pièce de commande car elle sort véritablement des standards habituels de production pour cette typologie d’objets.
La Fondation Roi Baudouin l’a acquis tout récemment et l’a confié à la SAN qui l’exposera au Musée des Arts décoratifs de Namur dans l’Hôtel de Groesbeeck-de Croix.
Bien que les pièces de cristal soient rarement marquées à cette époque, il ne fait nul doute, eut égard à sa très grande qualité d’exécution, que ce drageoir provienne de la Cristallerie de Vonêche (Beauraing).
« Evoquer Vonêche, c’est pour les historiens d’art, les antiquaires ou les collectionneurs faire surgir d’une histoire déjà lointaine la fabuleuse aventure de la cristallerie la plus prestigieuse d’Europe continentale du 19e siècle naissant. C’est aussi faire rêver les amateurs de beaux objets à ces pièces d’exception sorties de cette manufacture et qu’on nomme aujourd’hui tout simplement des « Vonêche ».1
En 1802, l’industriel Aimé-Gabriel d’Artigues rachète les Verreries Sainte-Anne de Vonêche, fondées en 1778. Fort de son diplôme de chimiste, d’Artigues avait alors déjà fructueusement expérimenté la production de véritable cristal plombeux. Conscient de l’intérêt d’une collaboration de la science et de la technique, il se préoccupait sans cesse de perfectionner sa fabrication par des recherches en laboratoire. Rapidement, Vonêche devient la verrerie la plus importante de l’Empire français, où émigrent de nombreuses familles de verriers provenant d’Alsace et de Lorraine.
Dès 1806, la renommée de Vonêche est incontestée. En prévision de l’organisation de l’Exposition générale et publique des produits de l’industrie française, d’Artigues soumet aux membres de la Chambre consultative des arts et manufactures de Namur des échantillons de cristaux pour examen. Ces derniers les qualifient comme étant de la plus grande beauté tant sous le rapport de la matière que sous celui du travail. La gravure est traitée avec perfection, les prix en paraissent très modérés.
Quelques années plus tard, un rapport de J.-B.X. Wasseige, député des fabriques et manufactures de la province de Namur daté du 25 février 1816, signale que cette cristallerie est sans contredit une des plus belles de l’Europe ; non seulement elle peut fournir à la consommation intérieure, mais faire encore à l’extérieur des exportations conséquentes. Car malgré le rattachement de nos provinces au royaume des Pays-Bas en 1815, d’Artigues s’était assuré de pouvoir continuer à servir sa clientèle française, en acquérant la verrerie de Baccarat en Lorraine, via laquelle il importait en France ses cristaux de Vonêche.
Les ateliers de Vonêche disposaient d’une taillerie et d’un atelier de gravure. Cependant, certaines pièces brutes achetées à Vonêche étaient taillées dans d’autres manufactures installées à Bruxelles ou Paris. Cette pratique annonce doucement le déclin de la manufacture qui s’accélèrera à partir de 1825. A cette époque, la concurrence s’organise. D’anciens associés de d’Artigues fondent la Société anonyme des Verreries et Etablissements du Val Saint-Lambert, de même que la Glacerie Sainte-Marie d’Oignies et la Société des produits chimiques de Vedrin. Ces coups durs vont précipiter la chute de ce fleuron industriel namurois.
1.Christian Van den Steen, Bicentenaire de la cristallerie de Vonêche. 1802-2002, coll. Monographies du TreM.a, 24, Namur, Société archéologique de Namur, 2002, 232 pages. Disponible auprès de la SAN, 10€.